PBP Stories - 2007

BC Randonneurs Cycling Club
 

 

PARIS - BREST - PARIS 2007
(16
ième édition)

par Alain COLLONGUES

On a vécu des Paris-Brest-Paris, souvent venteux par l'Ouest ou par le Nord, parfois par le Sud ou par l'Est comme celui du centenaire de 1991, des Paris-Brest nuageux encombrés de stratus ou de cumulo-nimbus, quelques uns caniculaires sous un soleil de feu et des journées torrides, d'autres enfin dont les nuits glaciales donnaient des engelures à ceux qui avaient oublié leurs gants. Peu furent tempérés juste comme il faut, beaucoup humides de rosée ou d'une petite averse, mais des Paris-Brest-Paris gorgés de trombes d'eau fouettées par le vent, des Paris-Brest à vous transformer en batracien, des Paris-Brest du temps du déluge venant parachever un mois d'août aussi calamiteux, on n'en avait pas encore connus.

Statistiquement ça risquait de se produire puisque c'était météorologiquement possible ; les archives de 1948 et celles de 1956, bien que les Paris-Brest fussent alors en septembre, sont là pour nous le rappeler. C'est le Miroir Sprint de 1948 qui témoigne avec ses photos sépia de routes luisantes de pluie et ses commentaires inimitables ; ce sont Roger Baumann et Gilbert Bulté, les anciens de 1956, se souvenant parfaitement que les vannes célestes s'étaient ouvertes en grand lors de la 4ième édition. Mais depuis plus rien : un demi-siècle de Paris-Brest secs. Et bien, c'est fini ! Il y a maintenant dans la catégorie "tropical humide" celui de 2007, celui de la 16ième édition.

Déjà le dimanche, au contrôle des vélos, le ciel avait manifesté ses coupables intentions, mais comme disait Jean-Claude Margry, spécialiste en vieux dictons : "Contrôle des vélos pluvieux, Paris-Brest heureux !". Hélas les dictons ne sont plus très fiables, les saisons non plus…

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Donc on est parti, nous les mille trois cent cinquante-huit "80 heures", répartis en trois groupes de quart d'heure en quart d'heure, à partir de 20h00. Pour ceux qui les ont oubliés, il faut rappeler quels étaient les engagés au nom de l'ASPTT Paris : Michel Collin, Vrège Jeloyan, Patrice Pierrin, Christophe Denêtre, Pierre Biénès, Noël Roillet, Alain Collongues dans le premier envol, sans oublier Roger Goulaux et Alain Domenger dans celui des "90 heures", lâché deux heures plus tard. Ils étaient neuf courageux, car la météo ne laissait guère d'illusions, non plus que la couleur d'un ciel, beaucoup plus bas que leur moral. A l'heure du départ, il n'y eut cependant aucune défection.


Il s'agit de Paris-Brest-Paris, donc règle n°1 : ne pas s'occuper des autres. Il y a suffisamment de monde sur la route pour toujours en trouver un avec qui rouler. Si c'est un ami tant mieux, sinon tant pis. Ceci est vrai au début, mais très faux ensuite et malgré les 5317 participants, je roulerai souvent seul, ne rencontrant que des groupes trop ou pas assez rapides. Au rythme échevelé d'une cyclosportive, la première étape s'avale de cassure en cassure et à Mortagne (km 140) je remplace mes deux bidons par ceux que le frère de Vrège a eu la gentillesse de m'apporter et de me tendre au passage. Sans ralentir, on repart prestement vers Villaines-la-Juhel.

Précisons que jusque là, malgré les menaces, pas une goutte de pluie ne s'est encore abattue sur les échines courbées et que j'ai même beaucoup trop chaud avec le maillot manches longues. Au contrôle de Villaines (km 222) règne la chaleureuse ambiance que nous réservent tous les quatre ans les spectateurs et bénévoles mayennais. Roger Baumann est là aussi, qui me demande comment ça va. Devant ma réponse du style : "Pas trop mal, Roger, pas trop mal…", l'ancien n'hésite pas : "Alors, continue !". Ca tombe bien, c'était mon intention…

Ensuite se situe un épisode un peu loufoque qui reflète la tension qui m'habite. J'avais regardé le parcours avant le départ et mémorisé qu'après Loupfougères il fallait quitter la route principale, pour monter à droite vers Hardange. A la sortie de Loupfougères je vois bien une petite route qui part sur la droite, mais pas de flèche officielle, et tout le monde file sans se soucier le moins du monde de ma petite route. Je continue comme eux, mais le doute est installé et au bout de quatre bornes je n'y tiens plus : "Ils se trompent tous, il fallait tourner à droite". Je reviens alors jusqu'à l'embranchement, croisant des paquets entiers qui filent à toutes pédales dans la nuit. Au carrefour une dame providentielle est là, à laquelle un éclair de lucidité me conseille de demander confirmation, mais elle m'assure que la route de droite était plus loin. J'aurais dû insister. A peine convaincu et persuadé qu'on peut avoir raison seul contre tous, je me résous à reprendre le chemin initial. Cinq cents mètres après l'endroit où j'avais fait demi-tour, une immense flèche lumineuse ne laissait place à aucun doute… Bilan : huit bornes de plus, un découragement certain et une demi-heure perdue.

C'est après Lassay que l'on quitte enfin le Perche et ses bosses interminables, mais le calme revenu est vite troublé par les premières gouttes de ce que je prends pour une gentille averse. Pas question de mettre l'imper pour si peu et cap sur Fougères, sans plus fermer les écoutilles. Fougères (km 310), je n'ai jamais aimé cette ville, toute en escarpement avec des détours incroyables pour l'atteindre. Le frère de Vrège est là qui m'encourage. Je suis persuadé qu'il m'a attendu, bien que Vrège et Patrice soient loin devant, sûrement passés pendant mon ridicule épisode de Loupfougères. Je me ravitaille d'un café au lait et de deux tartines avalés au grand galop. Tout est mouillé et dès que l'on traîne un peu on grelotte. Donc règle n°2 : foncer pour ne pas prendre froid.

Ensuite c'est une partie facile de Paris-Brest - celle de 1999 retrouvée et non celle si pentue, inaugurée pour je ne sais quelle mauvaise raison en 2003 : étape à peu près plate et plus courte que les autres (soixante bornes au lieu des quatre-vingt habituelles). J'y progresse au sein de petits groupes de rencontre. Tiens, voilà un coup de pédale que je connais : c'est Serge Rano, un ancien de l'ASPTT Paris. On fait dix bornes ensemble. Ailleurs c'est Pierre Delaître, collègue de travail dans une vie antérieure, et son fils Vincent. A la différence de Serge qui va boucler son troisième, Pierre et Vincent débutent sur Paris-Brest. On échange quelques impressions fugaces et l'on se réconforte car le crachin poursuit son œuvre.

A Tinténiac (km 364,5) tout va bien, sauf que les contrôleurs nous obligent à poser les vélos à l'entrée et à marcher pendant trois cents mètres. Je râle et râpe mes cales, comme cinq mille cyclos ont dû le faire. Deux yaourts, deux compotes, un coup de fil à la maison qui me donne les positions de chacun et me laisse perplexe. En moins de vingt minutes, tout est réglé, et c'est reparti. Je crois vraiment qu'en pratiquant ainsi l'absence d'assistance n'est pas un trop lourd handicap. L'autonomie se paie certes de trois bons kilos d'excédent de bagages qu'il faut bien transporter, mais elle écarte le risque de s'attarder auprès d'amis ou de familiers compatissants. Seule une assistance de type commando, impitoyable et très aguerrie - sans doute celle des premiers - offrirait les avantages sans les inconvénients.

L'itinéraire est encore facile vers Loudéac, avec d'intermittentes averses. Beaucoup d'observateurs mal informés croient que cette météo qu'ils qualifient volontiers d'apocalyptique, est un obstacle, mais je me connais assez pour savoir que la canicule serait bien pire. Ainsi pas de déshydratation ni surchauffe, une digestion facilitée, peu d'agression de la sueur et un cuissard protégé par des garde-boue qui servent enfin à quelque chose : que demander de plus pour ménager notre fragile machinerie ? Animé de ces réflexions humides, je monte Bécherel avec deux cyclos du club de Val d'Europe, connus au brevet de 600. L'un - peut-être un gendarme - est trop autoritaire à mon goût et je les laisse filer pour poursuivre à un rythme modeste mais régulier dans la Bretagne de Louison Bobet. Je craignais la cuvette de La Chèze, de mauvais souvenir par temps chaud, mais aujourd'hui elle passe sans mise dans le rouge.

A Loudéac (km 449,5) j'avais prévu un vrai repas, mais j'ai encore des sandwiches dans mon sac de guidon. Ca ira bien pour cette fois ! Puis commence une partie coriace avec les rudes côtes de Grâce-Uzel et quelques autres. Il faut se ménager et tenir jusqu'à Corlay où je sais que le relief s'humanisera. Tiens, la pluie aussi se calme un peu et marque même des arrêts prometteurs. A Corlay (km 485), au contrôle secret que tout le monde connaît d'avance, on se regroupe et je repars avec de nouveaux compagnons italiens, espagnols et américains jusqu'à Carhaix (km 525,5). Le seul français que je suis peine à leur expliquer qu'il ne faut pas confondre Maël-Carhaix et Carhaix-Plouguer.

Cette fois je m'accorde un repas chaud, le premier depuis le départ, car l'étape qui nous mène à Brest n'est pas la plus facile. Et en plus on va se la farcir deux fois de suite ! Je repars seul, sans appréhension dans le long, très long, faux plat d'Huelgoat et attaque le vieux Roc Trévezel. Peu après le sommet des Monts d'Arrée je croiserai le peloton de tête, déjà sur le retour. Ils sont groupés, au nombre d'une vingtaine, et semblent bien s'entendre. Plus loin des isolés passeront. Entre autres, dans un groupe de trois, j'ai le plaisir de reconnaître Jan Heine, ami américain expert en cycles "vintage", qui finira en cinquante heures sur sa monture d'un autre âge. On échange un bref salut d'encouragement. Entre deux vélos Alex Singer, ça se fait, non ! Plus loin, c'est Guillaume Leloup, libraire de son état et expert en Tour de France Randonneur, qui crie mon nom. Se trouver en pays de connaissance à six cents bornes de ses bases fait grand bien au moral.

Après le sommet je plonge dans le crépuscule et à Sizun nouvelle surprise agréable : Jean-Pierre Guillot et Jean-Michel Richefort sont au bord de la route et je m'arrête cinq minutes. La sincérité de leurs encouragements me touche. Ils m'apprennent que les abandons se sont multipliés - on parle de 1300 renoncements à ce moment, mais ce sera finalement 1459 abandons et 155 non-partants - et que le mauvais temps a accompli un travail de sape, même sur les premiers. Je n'en repars que plus confiant dans la suite de l'aventure et file maintenant vers Brest (km 614,5), en compagnie d'un inconnu qui m'a semblé se présenter comme un citoyen russe. On s'épaule bien dans les relais et nous admirons ensemble la rade de Brest qui s'endort dans le soleil couchant. Il est environ 22h00, quand je pointe au terme de cette première partie.

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Je me restaure simplement d'un café au lait et de tartines beurrées, échange quelques mots avec Joël Lelong - profession boulanger - qui va dormir une ou deux heures, puis je mets en route dans l'autre sens. Dans Guipavas au sein d'un petit groupe d'étrangers, j'entends un véhicule qui reste obstinément derrière nous, éclairant la route à pleins phares. Je lui fais plusieurs fois signe de doubler mais il refuse. C'est précisément à ce moment-là qu'arrive à notre hauteur un véhicule de FR3 Bretagne qui filme la scène. Bravo, on va finir par prendre une pénalité avec cet olibrius qui ne comprend rien ! Enfin le chauffeur de FR3 parvient à lui faire entendre qu'il ne nous rend pas service et l'indésirable décroche.

Le groupe reparti de Brest s'effiloche pour des motifs divers et manque sérieusement de motivation. Je reste seul avec deux italiens bavards. Ce sont des alpinistes ; ils font Paris-Brest-Paris par curiosité, mais c'est clair qu'ils préfèrent le Mont Blanc au Roc Trévezel. En parlant le temps passe vite et je ne m'ennuie pas. L'un des deux italiens a laissé sa femme et son fils au camping du Bois de Boulogne avec pour programme quelques courses aux Galeries Lafayette. "E pericoloso" pour le porte-monnaie ! Il ne pleut plus du tout depuis un bon moment et me voici de retour à Carhaix (km 697), où je prends exactement le même plat chaud qu'à l'aller, ce qui fait rire le cuisinier.

En quittant le contrôle vers 3h00 du matin, je commence à sentir une forte envie de dormir. Que faire ? Lutter, mais je sais que la vitesse va quand même chuter ou s'arrêter, mais pour combien de temps et dans quel état repartirai-je ? J'hésite un peu, puis à Corlay j'avise une petite place avec des bancs en bois. Je vide mes poches, regarde l'heure et m'y allonge. Le sommeil vient immédiatement et les rêves avec. Quand j'ouvre les yeux, c'est pour aussitôt consulter ma montre. Cinq minutes ont passé, pas une de plus. J'ai l'impression d'avoir dormi des heures et fait envoler le risque d'assoupissement. Je repars sans attendre pour ne pas laisser le froid s'installer. Donc règle n°3, mise en pratique pour la première fois cette année : effacer le sommeil par une micro-sieste, voire une nano-sieste.

Le ballet des lumières qui viennent en face est incessant. Les milliers de randonneurs de Paris-Brest passent ainsi, ombres furtives dans le noir total, que je cherche surtout à éviter lorsque les descentes m'emportent à grande vitesse. Il faut dire que ragaillardi par ma micro-sieste et super éclairé par ma lampe à diode Cateye 530 je ne traîne pas. A un moment je me rends soudain compte que ça fait deux minutes que je n'ai plus croisé personne. Je n'hésite guère et reviens sur mes pas, pour constater que j'ai loupé une flèche et m'enfonçais dans la mauvaise direction. Ouf, chaude alerte qui renforce ma vigilance ! Il fera jour quand je toucherai enfin Loudéac (km 773) où se mêlent partants et revenants dans une certaine cohue. Plutôt que d'attendre au self, je pointe au contrôle, achète des piles pour l'inévitable nuit prochaine et continue avec mes derniers sandwiches.

Le ciel nuageux est encore menaçant, mais sans pluie. Le vent se déchaîne et bizarrement je le trouve plutôt sympathique, ce vent du matin. Ce sont de grandes rafales trois quart arrière qui me propulsent vers l'avant. Soudain plusieurs cyclos arrivent à ma hauteur et parmi eux j'entends : "Alors Alain, ça va ?". Joël Gaborit vient de me rattraper avec un petit groupe emmené par Lionel Delahaie du club des Randonneurs Cyclos de l'Anjou. Ils roulent en vrais cyclistes avec des relais courts, économiques et efficaces. Ai-je une place parmi eux ? J'en doute, mais en forçant un peu je parviens à m'inclure au "grupetto" et nous filons jusqu'au contrôle, soi-disant secret, d'Illifaut (km 810). Jean-Michel Richefort et Jean-Pierre Guillot, au volant du véhicule de la FFCT, nous y rejoignent et nous souhaitent bonne route. Il en ira ainsi jusqu'à Tinténiac (km 858) où le groupe s'attarde un peu plus que de raison. Je les attends, d'autant plus volontiers que Joseph et Françoise Leroux ont eu la gentillesse d'y venir à la rencontre de ce Paris-Brest dont Joseph, lauréat en 1983, se souvient encore. On discute un peu, mais décidément mes lascars tardent trop. Même en profitant de l'arrêt pour envoyer un peu d'air dans les poumons de mes chambres à air en latex qui commencent à en avoir besoin, je me sens désœuvré à attendre et repars avec un groupe plus réduit.

La pluie fait une réapparition sous forme de crachin breton, tandis que je hisse mon 42x26 jusqu'au contrôle maudit de Fougères (km 912,5). Quelle mauvaise idée que de le percher ainsi en haut de la plus dure des bosses de Paris-Brest ! En début d'après-midi, un coup de fil à la maison me donne les positions des copains. J'y apprends que plusieurs ont la chance de rouler ensemble : Christophe ou Noël, avec Vrège et Patrice, ou bien Claude Jollec avec Patrick Zunino, par exemple. Je les envie un peu, moi qui me suis condamné à rouler seul. Mais je l'ai bien cherché, non ? Pourquoi être parti à 20h15 et non à 20h30, comme eux tous ?

Sur la route de Villaines la pluie ne s'arrange pas vraiment, mais je maintiens mon imper au sec, plié sous la selle, craignant trop de m'empoisonner dans cette cocotte-minute. Après Charchigné, on revient dans les longues et rugueuses bosses du Perche. Est-ce bien nécessaire de passer par là ? Il me semble qu'il y a moyen de les éviter et d'atteindre Villaines plus posément. Suggestion proposée à l'ACP : on humanise bien le Tour de France, pourquoi pas Paris-Brest ? A voir le nombre de cyclos que j'ai encore croisés depuis Fougères et qui sont manifestement hors délai, ce ne serait pas du luxe. Plusieurs japonais à la dérive ont semblé surpris par le relief et beaucoup d'attardés sont trop lourdement chargés. Manque d'expérience…

A Villaines (km 1000,5), sous les applaudissements respectueux des mayennais et des mayonnaises (pardon !), j'espère retrouver mon ami Albert Piau, trois fois lauréat dans les années 70, comme c'est le cas à chaque Paris-Brest que Dieu fait. Albert est bien là ! On va dîner au self tout en évoquant les copains de l'ASPTT des anciens jours. Je lui confie mon maillot d'été que j'avais emmené au cas où… Totalement inutile avec le temps qui s'installe ! Et je repars seul dans les longues lignes droites qui précèdent Mamers.

Ce n'est pas très dur en relief mais la fatigue est là et l'allure faiblit malgré mes efforts. Je commence à trouver que les averses sont bien rapprochées et surtout je redoute les 24 kilomètres plein Nord, qui nous attendent de Mamers à Mortagne. Il fait de nouveau très sombre et dans cette troisième nuit qui s'installe, je sais qu'il va falloir jouer serré. Je rattrape un cyclo dont les muscles du cou trop éprouvés ne soutiennent plus sa tête casquée. Il se met dans ma roue, tête baissée, incapable de la relever pour chercher la route. Je l'emmène ainsi et malgré trois chutes, dues à son immense fatigue, il atteint Mortagne où la Croix-Rouge le prend en charge. Plusieurs ont ainsi pu terminer grâce à une minerve, ce qui est quand même mieux que le bidon sous le menton comme je l'ai aussi vu pratiquer.

A Mortagne (km 1082,5) où le contrôleur m'apprend que je suis exactement le centième à passer, j'engloutis un double café avec des tartines et ne m'attarde pas, malgré la tentation de m'allonger un peu. Je connais la route par cœur et un inconnu se joint à moi, trop heureux de bénéficier d'un guide. Je daigne quand même enfiler mon gilet Gore-Tex, mais c'est trop tard. Je suis trempé et le froid m'a créé un douloureux point de contracture au niveau des lombaires. J'avale un comprimé de Voltarène ; rien ne change. Seuls des temps de roue libre en position jambe tendue me soulagent. Inutile de dire que dans ces conditions la moyenne dégringole, mais mon compagnon m'escorte toujours et nous finissons par arriver à Dreux (km 1156,5), après bien des détours bizarres sur une route ondulée au gros granulat inconfortable, tandis que la pluie redouble.

Je tente une approche vers la Croix-Rouge pour demander un emplâtre chauffant, mais il n'y a personne. On me fait savoir que les secouristes étaient là hier soir, qu'ils seront là demain matin, mais pas entre les deux. Pour la première fois que dans un Paris-Brest je veux recourir à leurs services, c'est plutôt raté ! Cette année Dreux a remplacé Nogent-le-Roi et malgré une évidente bonne volonté, les responsables du contrôle manquent encore de métier. Comme quoi ce qui paraît évident pour des vieux briscards, comme ceux qui opèrent à Villaines, ne l'est pas nécessairement pour tout le monde. Malgré des loupés mineurs, chapeau et merci à tous pour leur gentillesse et leur dévouement !

Sentant que j'aurai du mal à tenir des roues, je préfère prendre les devants et me sauve sans attendre davantage qu'un groupe se constitue. Heureusement avec Claude et Patrice on avait reconnu le parcours un rien tortueux, deux semaines plus tôt. Sous la pluie incessante je ne me perds pas et poursuis ma progression, maintenant à travers la forêt de Rambouillet. Seul dans le noir absolu j'entends d'étranges cris qui s'échappent d'une vie animale que l'on devine à deux pas. Sûr que ça empêche de dormir ! Au lever du jour, vers la petite église de Jouars au joli clocher arrondi, je reverrai les premiers humains, qui en finissent aussi avec la quadriennale. D'autres nous rejoindront sur la fin, et vers 7h30 une petite dizaine de cyclos entrera dans le fameux gymnase de Guyancourt (km 1225), portant le beau nom des Droits de l'Homme. Au compteur 1247 kilomètres, dans la tête des kilos de souvenirs…

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J'aurai la joie d'être accueilli par Jean Renoux et Jean-Claude Margry, ainsi que par mon fils Vincent, qui m'attendent depuis plus d'une heure. Ils ont suivi sur le site Internet très fonctionnel de l'ACP la progression du numéro 73, un numéro parmi cinq mille, qui voulait son Paris-Brest-Paris, comme c'est le cas depuis trente-six années. Merci à eux, leur présence me va droit au cœur. Combien il est plus agréable de finir aussi amicalement entouré, que dans l'anonymat !

Pour ce plaisir renouvelé tous les quatre ans, l'Audax Club Parisien mérite toute notre reconnaissance. En créant les Randonneurs Mondiaux à une époque où beaucoup ont dû ricaner, n'y voyant qu'un excès de mégalomanie, Robert Lepertel avait vu juste, parfaitement juste. Aujourd'hui son bébé a grandi et Bob peut légitimement en être fier. C'est une preuve tangible que la mondialisation n'est pas qu'un concept marchand. L'ouverture des frontières peut être un formidable lien entre ceux qui, dégagés de clivages politiques ou sociaux, partagent tout simplement une passion commune.

A ceux qui y ont cru, à ceux qui l'ont construit - les gars de l'ACP, de Pierrot à Jean-Gualbert en passant par tous les autres - je veux dire un grand merci.

Alain COLLONGUES
ASPTT PARIS
(septembre 2007)

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